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Nashville
Lundi 22 décembre
8 heures
Ils avaient passé la nuit à interroger le personnel de l'aéroport. On avait retrouvé la limousine. Un impact de balle avait fait voler en éclats le pare-brise. Le voile de Taylor, coincé dans les plis souples du cuir, était la seule indication de sa présence dans le véhicule. La confirmation matérielle était en cours — on avait relevé des empreintes et recherché des traces de sang. On espérait parvenir à reconstituer les événements qui avaient précédé l'arrivée à l'aéroport. Les deux certitudes, c'était que la balle avait été tirée depuis l'intérieur de la voiture, et qu'il y avait des traces de lutte.
On recherchait aussi l'avion fantôme. Retracer le parcours d'un appareil était généralement aisé, surtout depuis le 11 septembre 2001. Mais le Cessna semblait avoir dévié de son cap ; il n'avait pas atterri à la destination prévue. A la moitié du vol, le pilote avait appelé la piste privée de Fort Lauderdale pour dire qu'il avait un passager malade à bord, et qu'il retournait à Nashville. La tour de contrôle de Nashville n'avait pas eu de nouvelles de l'appareil depuis son départ. Aucun accident d'avion n'avait été signalé sur le littoral atlantique. Il faudrait des heures pour retrouver l'endroit où l'avion s'était posé, en comparant à la main des listes de numéros d'immatriculation.
Tout avait été soigneusement planifié pour que l'avion disparaisse dans la nature.
John en avait la nausée. Il sortit du petit aéroport et se tint sur le tarmac en fixant le nord. Il y avait une chance pour que Taylor soit blessée, pour qu'elle ait besoin de lui, et cette pensée lui donnait envie de s'arracher les cheveux et de serrer ses doigts autour de la gorge de celui qui lui avait volé sa femme.
Fitz s'approcha furtivement et lui mit la main sur l'épaule. D'un coup, John se sentit à la fois très reconnaissant et très coupable. Tout à ses propres terreurs au sujet de Taylor, il avait oublié les quatre personnes qui la connaissaient et l'aimaient depuis bien plus longtemps que lui. Ceux qui formaient son équipe. Cette prise de conscience lui fit l'effet d'une gifle.
— Ecoute, Fitz, je suis désolé... Depuis le début, je ne fais que penser à moi et à mes souffrances. Je sais que tu tiens à elle, toi aussi. Je me suis conduit comme un imbécile.
Fitz eut un geste nonchalant.
— T'en fais pas pour ça. On est tous à cran, mais, que je sache, personne ne t'en veut de ne pas nous avoir dorlotés davantage. On est des adultes. Enfin, la plupart d'entre nous.
Avec un grand sourire, il fit un signe en direction de l'entrée du terminal, où se tenait Marcus Wade. Le jeune homme menait la vie dure au personnel de l'aéroport : il avait déjà menacé de les arrêter tous s'ils ne coopéraient pas. A présent, il s'adressait à un interlocuteur d'un air véhément ; derrière le comptoir, l'agent tremblait visiblement.
John eut un sourire crispé. Derrière Marcus, il vit Lincoln, installé sur une chaise en plastique orange, son ordinateur sur les genoux. Il naviguait dans le cyberespace à la recherche de l'avion. Si quelqu'un était capable de le retrouver, c'était bien lui.
— Je vais appeler Price, lui faire mon rapport, déclara Fitz. Je lui dis quelque chose de ta part?
— Juste de se préparer à un assaut majeur dès qu'on saura quelque chose. Je sais que le département de police ne roule pas sur l'or. Je suis prêt à mettre des fonds s'il le faut. Je ne m'attends pas à ce qu'il couvre mes frais. Dis-le-lui.
— Price ne voudra rien entendre, Baldwin, tu le sais. Il te considère comme un membre de cette équipe, même si tu es du FBI.
Il ouvrit son téléphone et s'éloigna, laissant John seul sur le tarmac gelé.
A un moment donné, il avait bien failli quitter le Bureau ; à présent, il s'estimait heureux que son chef, Garrett Woods, l'en ait empêché. Il lui aurait été difficile de réagir à la disparition de Taylor, à la mort du chauffeur et à tout le reste sans l'appui du FBI.
Il avait encore envie de se mettre à son compte, de monter une société de conseil libérée des contraintes du secteur public. Embaucher quelques détectives, faire le travail qu'il avait envie de faire...
Une idée lui vint à l'esprit et le secoua. Un détective... Taylor et lui avaient manifestement été surveillés. Quelqu'un était au courant de tous les détails de leur mariage, y compris du nom de l'entreprise de limousines. Etait-ce l'œuvre d'un détective privé dépourvu de scrupules ? Non, aucun détective sain d'esprit n'accepterait de filer un flic et un agent du FBI. Voilà un problème qui méritait d'être éclairci.
Son téléphone affichait quatre nouveaux messages, tous de Garrett Woods, tous concernant une affaire qui n'avait rien à voir avec la disparition de Taylor. En proie à une mini-rébellion filiale, John décida de ne pas répondre tout de suite. S'il avait absolument besoin de lui parler, Woods le lui ferait savoir. En attendant, il devait rester concentré sur Taylor.